24 heures : c’est la durée pendant laquelle je partage et photographie le quotidien d’une personne, anonyme ou célèbre.

24 heures : c’est l’universel que donne à voir la collection de ces tranches de vie. Parce que dans le quotidien singulier de chaque être humain, il y a l’humanité toute entière.

 

 

NOTE D’INTENTION

 

En 2014, je faisais un reportage en Roumanie, mon pays natal, pour interroger les gens de la campagne sur la manière dont ils avaient vécu la révolution en 1989 et ce qui leur en restait. J’arrivais dans leur vie, je les prenais en photo, je leur parlais, sauf qu’en repartant, je me sentais frustrée de ne pas avoir passé plus de temps avec eux. Un jour, après une séance avec un pêcheur dans le delta du Danube, je me suis entendue lui dire « A bientôt ! ». Comme une promesse. Qu’il m’est devenu instantanément essentiel de tenir.

 

J’ai beaucoup réfléchi au projet qui me permettrait non seulement de tenir ma promesse, mais de prolonger ces rencontres que j’adore faire et dont la richesse m’émerveille. Je voulais prendre le temps d’une intimité partagée sans pour autant vivre chez les gens ou les suivre pendant des mois.

24 heures m’est apparu comme le format idéal pour entrer vraiment dans le quotidien et vivre des moments d’intensité différente.

Et j’ai tenu ma promesse. Je suis retournée voir le pêcheur du delta du Danube pour mon premier 24 heures.

 

Pour vivre chaque rencontre avec spontanéité et une totale ouverture à l’autre, je ne prépare pas la séance. Je ne veux pas imaginer en amont ce que je vais faire parce que je ne sais jamais ce qui va se passer et c’est précisément ce qui m’intéresse. C’est aussi ce qui fait qu’aucun 24 heures ne ressemble à un autre.

Les seules contraintes que je me pose sont de photographier pendant 24 heures d’affilée et de choisir une journée représentative du quotidien de la personne. Je n’ai dérogé qu’une fois à cette seconde règle : pour photographier les premières 24 heures d’un nouveau-né. Cette idée qui me tenait à cœur a été longue à se concrétiser, mais a donné lieu à ce qui reste le 24 heures le plus éprouvant et le plus émouvant.

 

Entrer dans l’intimité des autres sans être voyeuse ni simple observatrice : pendant 24 heures, je n’essaie pas de me faire oublier, je suis dans la curiosité, le dialogue. Si les gens oublient très vite l’appareil photo, c’est parce qu’il est comme un prolongement naturel de moi.

 

J’ai tout de suite imaginé ce projet dans la durée, comme une collection qui donnerait à voir le quotidien de notre époque à travers des vies individuelles très différentes. Mais je n’ai pas voulu dresser une liste de métiers, de pays, d’âges, surtout pas. La collection se construit au gré des rencontres. Souvent on me parle de gens d’une manière qui me donne très envie de les rencontrer : un boxeur qui donne des cours dans un parc, un SDF passionné de livres, un homme de 106 ans qui a sauvé des centaines d’enfants pendant la guerre…

Dans les 24 heures que j’ai déjà réalisés, il y a des gens célèbres et d’autres pas. Pour moi, ça ne compte pas, il n’y a pas de vies plus intéressantes que d’autres. C’est la raison pour laquelle, dans les légendes, je tiens à donner uniquement le prénom, jamais le nom de famille.

 

Ce projet m’a offert des rencontres que je n’aurais pas faites sans lui, il est devenu une sorte de fil conducteur dans ma vie. J’essaie de profiter de chaque voyage que je fais pour élargir l’horizon des rencontres, ce qui m’a permis pour l’instant de faire des 24 heures en Roumanie, en France, mais aussi au Japon, à New York, au Danemark, en Pologne et en Israël.

 

Ces tranches de vie prennent leur sens dans l’accumulation : elles sont comme une fenêtre grande ouverte sur la manière dont les gens d’ici, d’ailleurs, de tous horizons, vivent l’époque. On comprend les gens quand on les voit vivre. C’est dans l’épaisseur du quotidien que se découvre l’universel de la condition humaine. C’est ce que ce projet m’a appris et ce que je souhaite transmettre.

 

 

 

BIO

 

Géraldine Aresteanu est née le 13 décembre 1976 à Iasi, en Roumanie, d’une mère française et d’un père roumain. Elle a 13 ans au moment de la révolution qui met fin au régime Ceaucescu. A 13 ans, elle est bouleversée par une exposition organisée par World Press à Bucarest qui lui montre son pays comme elle ne l’avait jamais vu. Sa vocation est née, elle sera photographe.

Elle parvient à trouver un cours de photographie qu’elle suit assidûment. Devant son inaltérable détermination, ses parents lui offrent son premier appareil, un Canon T60 qui devient son compagnon d’apprentissage et d’exploration.

Elle quitte, seule, la Roumanie en 1995 pour faire ses études supérieures en France : classe préparatoire puis DEUG de maths. Reçue au concours de l’École Louis Lumière la première année, elle n’a pas encore le DEUG requis. Mais une fois le sésame en poche, il est trop tard. Elle a commencé à montrer son book à des agences de presse et des revues, à rencontrer des photographes, à décrocher des reportages. Sa décision est prise : elle fera du terrain son école.

Elle part en décembre 1999 réaliser un reportage dans les mines d’or en Roumanie. Ayant jusqu’alors privilégié le noir et blanc, elle apprivoise avec bonheur la couleur à partir de 2000, sur le conseil du directeur photo de l’AFP.

 

L’accueil de ses « Portraits pour un Mot », un travail sur le langage des signes avec des enfants sourds-muets de plusieurs nationalités, conforte sa vocation et marque un tournant. Elle vend ses premières photos en exposant ces portraits lors des rencontres photographiques d’Orléans en 1999. Elle en fait un livre qui lui vaut plusieurs prix - Fondation de France, Fondation du Crédit Mutuel et Défi Jeune (ministère de la Jeunesse et des Sports) et lui permet de s’acheter ses premières lumières de studio.

 

En 2003, elle fonde l’agence Salez/Poivrez « pour une communication qui a du goût » avec une amie graphiste. Pendant 11 ans, elles conjuguent leurs talents au service de sujets et toujours de personnes qui leur tiennent à cœur : des artistes souvent, des créateurs émergents, des héros du quotidien qu’elles contribuent à rendre visibles.

 

Depuis 2014, Géraldine déploie seule ses ailes à la rencontre du monde, allant là où sa curiosité des autres et son cœur la portent. 24 heures naît. Le projet phare qui éclaire tous les autres et s’enrichit des rencontres qu’ils font éclore.

Des ponts s’établissent d’ailleurs naturellement entre ses différents projets. Elle immortalise l’immortel Jean-Christophe Rufin en février 2015. En septembre 2015, il se prête à l’expérience 24 heures. En 2016, quand il s’agit de présenter l’exposition de 90 de ses portraits au CERCIL (Centre d'Etude et de Recherche sur les Camps d'Internement du Loiret, dont un musée mémorial des enfants du Vel d’Hiv, désormais intégré au Mémorial de la Shoah à Paris), c’est à lui qu’elle demande d’écrire le texte. De même, en 2017, elle photographie la fondatrice de l’association Le Rire Médecin qui fait ensuite appel à elle pour témoigner en images du travail de l’association dans les hôpitaux.

 

Géraldine alterne reportages et portraits, en créant toujours cette proximité née de sa curiosité sans bornes pour l’autre et de son pétillant appétit pour le comprendre. Une proximité y compris dans son dispositif qui souvent étonne et à laquelle l’exiguïté de son premier studio aménagé chez elle n’est pas étrangère.

 

Elle aime également solliciter le talent d’autres artistes pour explorer de nouvelles voies, inventer à deux des performances susceptibles de toucher ceux qui les vivent comme ceux qui les voient.